DAX : « MIGUEL, L’ANGE !!! »
Miguel Angel Perera gracie un toro de Victoriano
del Rio.
Dax, divisée mais justement heureuse, célèbre la faena de
l’année. |
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8 Septembre : Il est dans la vie, des moments magiques où, d’un coup,
tous ensemble, on se retrouve « sur une autre planète », une planète où
le temps s’arrête, où tous les regards deviennent complices dans le
partage de l’admiration et l’enthousiasme… une planète où tous les
soucis sont oubliés, l’espace de dix minutes d’un inexorable crescendo
où « le cœur et le ventre » font taire toutes les « raisons », toutes
les froides analyses…
Hier, la plaza de Dax et huit mille personnes ont vécu
ce moment… Certes, quelques « raisonneurs » auront trouvé bonne raison à
ne pas communier… Ils ont leurs raisons, et peut-être... raison! Mais à
tout dire, on les plaint un peu...
Hier, un homme et un toro ; un grand homme et un petit
toro, très brave tant il était noble, ont amené tout un public à une
totale euphorie dont le bouquet final, longuement attendu, fut « l’indulto »,
la grâce du toro…
Bien sûr il est possible de contester, on y reviendra…
Bien sûr on reprochera à Miguel Angel Perera, de ne pas avoir « le
sentiment » du Morante, d’être « un laborieux », parfois pesant, qui met
et remet dix fois, cent fois, son métier sur l’ouvrage… tandis que
Morante, sur « un muletazo »…
Cela peut être vrai, mais il me semble que certains
muletazos, certaines entames, certains remates de Perera, hier… si c’est
Morante qui les donne, pues… « apaga y vamonos ! ».
Hier, Miguel Angel Perera, d’un bout à l’autre d’une faena parfaite,
intense, à la fois douce, suave, coulée, léchée, mais aussi
« puissante », impérieuse, totalement dominatrice, a monté un véritable
chef d’œuvre, parfaite illustration du Toreo d’aujourd’hui, avec « les
valeurs d’hier »... Et que l’on ne parle pas de « répétitif »,
face à une babosa sans force ou sans malice… Certes le toro était
« petit », certes il était « très noble »… Certes il n’avait pas été
piqué, pratiquement, mais il était brave, et sa noblesse allant
crescendo, son envie de charger et charger encore, dévoilèrent sa vraie
bravoure…
Bien sûr que l’on pourra discuter, et en cela, cette
dernière tarde Dacquoise « alimentera » bien des discussions, dans les
Clubs et Peñas, autour d’un feu d’hiver… Bien sûr que « règlement en
main ! », le dos courbé sous le poids « des tables de la Loi », le toro
n’avait pas été piqué, « qu’on ne l’avait pas vu au cheval », et qu’à ce
titre, n’étant pas « complet », il ne pouvait être question « d’indulto ».
Mais quand à la fin d’un tel faenon, le toro « demande » et « en
redemande encore », dévorant la muleta et « les kilomètres », on peut
tout à fait entendre que « l’on n’a pas le droit » de laisser partir cet
animal vers le repos éternel, surtout en une époque où « l’on espère »,
à chaque paseo, que la plupart des toros « permettront un peu ! » A
l’heure des toros « tardos », « parados », « rajados », « cantando la
gallina » parce que le torero a un peu trop baissé la main, on n’a pas
le droit de laisser passer celui qui accourt, avec brave noblesse, au
moindre toque…
Hier à Dax, Miguel Angel Perera a monté un véritable chef d’œuvre, digne
de celui dont il porte le nom… Mêlant le temple, la cadence, la douceur
et la force, le torero « se salio », « sortit de lui-même… et se regarda
toréer ! ».
Vous souvenez vous de l’entame : Deux cambios dans le
dos… Bon ! On connaît ! Cela devient presque « routinier » On ne
s’étonne plus de rien ! Mais, un troisième cambio, puis le pase de las
flores, en huit aller et retour impressionnants de force et de saveur…
avouez que ! Et il n’est que de voir « le coup d’bouc » du torero, au
sortir de la suerte, pour être sûr qu’à ce moment précis, Perera « se
sentait » immense torero, et qu’il savait ce qu’il allait monter.
Savait il que le tout serait si parfait, si coulé, si
lié, si « plein de trouvailles joliment mêlées », que l’on arriverait à
ce dire « Mais bon Dieu ! Que ce toro est brave, avec ce qu’il lui
met ! » Peut-être en rêvait il! Il savait le toro, noble... mais peu à
peu, la noblesse devint « authentique bravoure », et c’est pour cela que
le public tout entier arriva à demander « l’indulto ». Et cela fit du
bruit! Une belle fièvre, qui montait, montait...
En bas, le torero interrogeait, alors que la bronca
naissait, dès qu’il faisait mine de monter l’épée. En haut, au palco, le
président gardait la main sur « le règlement… et « la raison », dont il
était le double garant. En cela, il était parfaitement dans son rôle, et
personne, ici ou ailleurs, n’aurait voulu être à sa place, en ces
instants.
Ce furent de longues, longues minutes, de « bras de
fer » entre les deux concepts « de la bravoure et de la noblesse ».
Puis, tandis que huit mille gorges (moins quelques unes) hurlaient la
supplique, le président, lui aussi très noble, accepta, laissant parler
« le cœur et les tripes ». Car en bas, « Desgarbado », (littéralement
« le vilain pas beau, sans élégance ni classe », continuait de charger
et charger, sous les derniers coups de pinceau d’un torero qui, ce jour,
devint… un grand artiste.
A l’heure où j’écris cette chronique qui, je le sens, sera « bien trop
longue », une fois de plus, je n’ai lu aucun de mes collègues, sur
d’autres pages… et peut-être vais-je à l’encontre de tout ce qu’ils ont
écrit. Tant pis… j’assume, et je signe ! Hier, pour moi, « le » grand
artiste de la tarde, fut Miguel Angel Perera, et le « laborieux » fut
Morante de la Puebla. « Y eso que soy Morantista!! », vous le savez
amplement.
Hier, et même s’il fut bien, très volontaire, ce ne fut
pas le Morante que l’on rêvait de voir. Le Morante « vertical »,
seigneurial… le « Cagancho des années 2000 » ou « le Pepin Martin
Vazquez de toujours ». Son « inspiration » actuelle le poussant à des
remates « agachados », vilainement courbé, le cul en arrière, que l’on
prend pour de l’art, tandis que l’on peut aussi penser que ce n’est que
« du précautionneux fleuri », nous éloigne du « garboso », de « l’empaque
profond » qui fut le sien… « avant ». Hier, le Morante de la Puebla fut
« laborieusement baroque », souvent « très torero »… mais « l’artiste »
du jour, dans un autre registre d’immense toreria… fut Miguel Angel
Perera.
La France et Dax ont eu la grande chance de vivre ce
moment, et de le vivre, comme Dax, seule, sait le vivre… et le faire
vivre. « Avec le cœur et les tripes… autant qu’avec la tête ! ».
Corrida qui partait bien mal ! Corrida « chica », dans le trapio et
« les idées »… Mais corrida qui finit en véritable apothéose, « unique »
et méritée, grâce à un toro « très brave à force d’être noble », et d’un
immense torero…
Chapeau à « Desgarbado », qui mérite son destin futur !
Monterazo à Miguel Angel Perera, immense torero, hier…
et superbe artiste !
Chapeau à Dax, qui a voulu parler « avec le cœur »,
même si elle savait que « la raison » disait le contraire. Et chapeau au
Président… qui a su l’entendre!
En premier rang de la barrière, un homme, un torero retiré, un grand, un
immense torero, les yeux plissés par la concentration, suivait, étonné,
la faena de son jeune collègue… A ses côtés, sa belle et adorable
épouse, qui ne lui lâcha la main que pour se lever et, dès les premiers
instants, demander l’indulto de « Desgarbado ». Le torero en question
était le maestro Cesar Rincon, et lui aussi, quelques instants après, du
mouchoir et du sifflet, s’est joint à l’immense clameur… Torero,
ganadero, « immense persona », par sa sincérité et sa « noblesse de
brave », Rincon se laissa aller, lui aussi, à la grande communion…
obtenant, lui aussi, la vie sauve du petit toro vilain, tellement noble
qu’il en était… « immense » de bravoure !
Ah oui ! Un « superbe détail » qui dit, encore une fois, qu’à Dax, « il
y a quelque chose qui ! » : Lorsque « Desgarbado » fut rentré au corral
et que l’on attribua au torero « tous les trophées, symboliquement », on
n’alla point, comme il arrive souvent, courir au desolladero chercher
les deux oreilles et la queue d’un toro précédent… Ici, l’alguacil remit
au triomphateur, en une superbe improvisade, trois mouchoirs immaculés,
symbolisant tout « le moment parfait », vécu ensemble…
Un joli geste de plus, « un detalle » qui fait qu’à Dax, on
aime à y venir et y revenir…
Enhorabuenas mil !
Dimanche 7 Septembre – DAX – 2ème corrida de la
Feria de La Salsa – Gros plein et belle tarde : Toros de Victoriano del
Rio, de présence très inégale, et de comportement décevant, très limités
de forces, arrivant « noblones » mais avec bien des défauts au troisième
tiers. Sortant « abantos », distraits, corretones, ils ne permirent que
peu de choses, au capote. Les piques furent courtes, quoiqu’intenses,
parfois, mais aucun n’arriva « facile » à la muleta. Aucun… sauf « Desgarbado »
- petit toro noir, de 486 kgs, sorti sixième. Un toro qui ne brilla
guère, dans les deux premiers tiers… mais un toro qui alla « a mas y
mas », chargeant de loin, avec « du moteur », une énorme fijeza, une
immense noblesse et au final, une telle « bravoure » (alors qu’il
n’avait reçu qu’un picotazo », que peu à peu, la plaza toute entière, en
demanda vies sauve, et finit par l’obtenir. |
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En fin de paseo, Dax fit saluer Enrique Ponce, qui
invita les collègues à partager les bravos. En barrière d’ombre,
accompagné de son épouse Natalia, Cesar Rincon reçut de nombreuses
marques d’amitié.
Enrique Ponce : Silence après un avis ;
et Silence – Sembla « trop facile » et se passa de faena, devant le
noble mais bien fade premier. Elégance, technique, mais pas de passion…
et deux désarmés. A la mort, le Valenciano piqua deux fois, vilainement,
et perdit une petite oreille.
Le quatrième sortit « avec quelque chose » à une patte,
mais fit oublier cette passagère faiblesse en un puyazo « romaneando »,
finissant par un gros batacazo, plus « malin » que brave. Il sortit de
la deuxième rencontre, affaibli et le piton gauche en charpie. A la
muleta, il se défendit plus qu’il n’attaqua, et Ponce multiplia
vainement de longs efforts, et finit par ennuyer un brin. Cette journée
n'était pas sienne!
Morante de la Puebla : Ovation et Une
oreille après avis – Ne put jamais « se libérer » tout à fait, tant au
capote qu'à la muleta, du fait du manque de vraie noble bravoure de ses
adversaires. Pourtant, Perera monta à son premier adversaire un quite
par le haut, formidablement « double rematé », qui disait que le toro
« avait quelque chose », à condition de rester quieto et de le
convaincre plus que le forcer. Le Morante 2008, plus « vibrant » que
profond, plia le toro par le bas, et « l’obligea » en de nombreuses
séries sur chaque main, sans n’obtenir jamais « la grande communion ».
Un Morante, en quête du moment parfait… qui n’arriva pas. Devant le
cinquième, la faena fut très longue, mélange de classique et de baroque,
les passes longues et « galbées », avec quelque profondeur, se mêlant à
des remates baroques, très penchés en avant, inesthétiques, ce qui est
un petit comble, pour le Morante. Cependant, tout « génial » tutoyant le
grandiose ou le ridicule, on laissera à chacun sa propre appréciation.
Cela dit, on retiendra la grande volonté du Morante à « travailler »,
pour tirer la série parfaite… à laquelle il ne parvint pas, tant
l’adversaire était âpre et inconstant dans ses charges. En un mot, un
Morante qui coupa une oreille, après un coup d’épée, pour lui, très
honnête. Mais… « ce n’est pas le Morante que l’on attendait ! »
Miguel Angel Perera : Silence et « Tous
les trophées, « symboliques », du toro gracié – S’est immédiatement
signalé par un quite ahurissant de stoïcisme et de serré, en ses deux
remates, sans rectifier la position. Sa première faena fut
« insistante », alors qu’on priait pour qu’elle fût plus brève, le toro
ne valant pas grand-chose, manso, faible, sin raza ninguna.
Et puis, alors que la corrida « coulait » un peu et que
l’on s’attendait à une « redite » de Perera… sortit « Desgarbado » le
sixième et dernier de la temporada... Petit toro, feucho, sortant sans
grande fijeza, jusqu’au moment où Perera l’accrochera en trois bonnes
véroniques. Le premier tiers se déroulera dans la quasi indifférence, le
toro étant à peine piqué.
Pourtant, le diestro « avait vu » sa qualité, et ne
douta pas d’aller brinder, au centre. Et là, pratiquement sur place,
Perera va citer de loin, et lier en vibrantes allées et venues, trois
cambios dans le dos, suivis d’un pase « de las flores », lié à deux
muletazos de remate, grandioses. Explosion dans la plaza et hurlement
d’émotion du torero, au sortir d’un tel enchaînement.
Ensuite, la faena monta… en faenon, la muleta allant
chercher loin devant la charge d’un toro qui devint parfaite de rythme,
de fixité, de noblesse et de bravoure. Séries « amples », douces mais
puissantes, suaves mais sans faille, chaque fois ouvertes par des
adornos que l’on qualifiera « d’artistes », par l’attitude torera et
l’efficacité, le toro et la muleta se retrouvant à l’endroit précis, au
moment précis, pour entamer la séquence suivante. Séries « variées »,
dans le registre conventionnel, car « rematées » par des enchaînements
que beaucoup regardèrent, incrédules. Faena « a mas », avec un toro qui
n’arrêtait pas de charger, en demandait et redemandait encore, avec
énormément de fijeza et de noblesse.
Déjà des voix demandaient l’indulto, bientôt rejointe
par une majorité naissante. A sa barrière, l’épouse de César Rincon se
leva, un foulard à la main. La pétition allait croissant, et en bas,
saoul de toreo, Perera regardait le président. Celui-ci, dans son rôle,
lui fit signe de monter l’épée. Une, deux fois, Perera fit mine de
cadrer « Desgarbado ». Une, deux fois, la bronca se fit féroce, et se
retourna contre le palco. Alors, Perera continua de donner au brave toro,
« ce qu’il lui demandait », des passes et des passes, plus
seigneuriales, plus « abandonnées » les unes que les autres… Alors la
pétition fut générale, féroce. Rincon était debout, fixant la
présidence, sifflant et rageant.
Et tout à coup, la bronca se fit gigantesque explosion
de joie : Le président avait plié… et Miguel Angel Perera avait gracié
le brave « Desgarbado ». Le torero, très ému (bien que cela ne se
refléta pas) simula la mort et le toro partit, tête haute, noblement,
beau comme tout, vers son nouveau destin. Dax donna en guise de « Tous
les trophées, symboliques », trois mouchoirs blancs, comme autant de
colombes de paix, de joie et d’amitié Aficionada.
Enorme moment, comme fut « énorme » la faena de Miguel
Angel Perera, à un petit toro de Victoriano del Rio, nommé « Desgarbado ».
Petit par la taille, mais… « énorme » par le cœur !
Enhorabuena… tout le monde !
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