BAYONNE : « DESOLE, MONSIEUR ! »

     4 Août : Probablement un ganadero met il tous ses espoirs, toute son aficion et, disons le mot, tout son amour, dans son élevage - surtout s’il est de dimension modeste - et dans le choix des toros qu’il fera, pour se présenter dans une grande plaza. Aussi pourra t’on imaginer sa douleur lorsque, par des accidents de lidia, ses toros ne peuvent faire briller ses couleurs, ou qu’ils sortent mal, aux yeux du grands public, tandis que quelques pros y trouvent une poignée d’excuses plus ou moins valables.
     Désolé Monsieur Yonnet, pour la « double douleur » ! Celle de perdre un toro, sans qu’il n’ait pu combattre… et celle de voir ses produits « ne pas favoriser » les faenas que le tout Bayonne attendait, en cette corrida du « Dimanche des Fêtes ».
     Probablement ce sera « presentacion… y despedida ! », mais pour les deux, ce sera avec notre admiration, notre respect et affection Aficionada.

     La corrida est sortie « seria por delante », armée pointue et sérieuse dans le regard… Hélas, les toros avaient perdu beaucoup de poids au corrales, et le trapio global en montra quelques inégalités. Cependant, on restera sur l’impression générale d’un lot « très sérieux », spectaculaire au premier tiers, mais décevant par la suite.
     Pourtant on gardera avant tout la tristesse d’un incident qui, après celui du Torrestrella de Mont de Marsan, vint se répéter à Bayonne : Cité de loin, un toro va percuter le burladero et s’y tue, « desnucado ».
     Le quatrième toro de la tarde, second de Padilla, du nom de « Mournes », N°412, avait fait grosse impression, depuis qu’il était arrivé à Bayonne. Grand, puissant, armé large, le toro « était à tout », agressif, violent, au point qu’il avait fallu le séparer des autres, dans les corrales. Au moment de l’enchiqueramiento, il avait longtemps bataillé, le front haut, en perpétuel mouvement. Un tio!
     Quand sonnèrent les clarines de son entrée en piste, il dut multiplier ses coups de tête, tremblant de rage, au point que malencontreusement, la devise verte et blanche rencontra le frontal au lieu du garrot. Le front ainsi orné de rubans, « Mournes » déboula dans le ruedo, imposant à tout le monde le plus grand respect. Hélas, après deux courses, il répondit fort à l’appel d’une cape, au burladero des matadors. Le toro fonça, frappa et s’écroula, foudroyé, sa tête faisant « un drôle d’angle », avec le reste du corps. Exactement le même accident que celui du pauvre « Valenciano », au Plumaçon.
     Stupeur ! Douleur… et rage ! C’était la deuxième fois, au cours de la corrida que le peon de Padilla, Manuel Soto, particulièrement malheureux dans toutes ses interventions, faisait taper un toro. Déjà il avait vilainement envoyé le toro d’ouverture percuter la tranche du burladero, ce qui lui avait valu une juste, quoique un poil « grandiloquente » réprimande de l’alguazil. Mais là, le geste fut « fatal »: Il fallut puntiller la pauvre bête.
     Le bon professionnel qu’est Manuel Soto « a t’il fait exprès ».. ou a t’il agit « aux ordres », comme on l’entendait dire ça et là…?
     - On ose espérer que non ! Certes le geste demeure, mais la conclusion est accidentelle : Question « d’angle » de choc. D’ailleurs, il nous semble que sur la tronera du burladero, le premier toro aurait pu se fendre le crâne.
     Problème lié aux toros « agressifs », forts, sans grande fijeza, « qui ne calculent pas »… Le pauvre « Mournes » s’est jeté sur l’ennemi, mais « il est mal tombé ».  Affreux craquement et grosse douleur pour tous, excepté pour une poignée de rigolards qui n’ont plus rien à faire dans une arène. Bien sûr on demanda des comptes au subalterne, mais le mal était fait. Pour le ganadero, on imagine « le coup de poing au ventre… et au coeur » Désolé, monsieur !  

     La corrida, en son entier, n’a pas plu. Certes il y eut de belles sorties, de spectaculaires entrées au cheval, parfois même des indices de bravoure, mais ensuite, les choses partirent vers de vilaines demi teintes. Toros compliqués, souvent distraits, restant tête haute ; forces qui limitent les charges, provoquant d’agressives réserves, à grands coups de tête. Certes il y eut de bons passages, presque nobles, sur certaines cornes, telles les droites des deux premiers de la tarde... mais il n’y eut aucun toro « de faena », et donc… aucune faena complète.
     Chez les hommes, Padilla fit l’effort, devant son premier, toréant « plus reposé » que de coutume, sur corne droite. Face au sobrero de Cortijoliva, qui se blessa à l’avant gauche, il prétendit faire faena, mais le public ne l’entendit pas ainsi. Pour résumer le tout, on dira que, probablement, Padilla ne reviendra plus, ni à Mont de Marsan, ni à Bayonne.
     Julien Lescarret s’est battu, comme il le fait toujours, avec son coeur et ses moyens. On aura un peu de mal à comprendre, devant le deuxième, mansito distrait, à la bonne corne droite, d'abord qu’il ne fît pas taire la musique, ce qui lui aurait permit de fixer le toro « à la voix »; et deuxièmement, de ne pas revenir sur main droite (le bon côté), après avoir subi un premier échec, à gauche. Il y perdit probablement beaucoup, car le public, en sa majorité, était à ses côtés. Devant le cinquième, un sacré lascar aux terribles hachazos, le Français fut très vaillant, recevant un vilain paletazo au coude, et tua difficilement, car « la porte » était bien fermée.
     De son côté, Luis Bolivar aura fait preuve d’un courage serein, ce que l’on appelle « valor seco », restant bien ferme sur ses appuis, « pensant » devant le toro, et tirant les faenas que lui permirent deux bêtes sans fond ni classe… Tuant bas, mais vite, il coupa la seule oreille d’une tarde que le grand public de Bayonne voudra oublier.

     Une de ces tardes que l’on ne souhaite pas voir « se multiplier », dans une arène où, qu’on le veuille ou non, les spectateurs abonnés attendent « autre chose »…
     Difficile « alchimie » que de monter la temporada en plaza de Lachepaillet. Cette première, même si elle fut très sérieuse, ne peut satisfaire tout le monde, et rendre… le sourire et l’espoir. D’autant que le triste accident du quatrième Yonnet marquera la saison d’une vilaine pierre noire.
     « Désolé, monsieur Yonnet ! Ud no se merecia esto! »

     Dimanche 3 Août – BAYONNE – Corrida des Fêtes (3ème de la Temporada) – Trois quarts de plaza – Grand beau : Six toros de Yonnet, très sérieux de tête, astifinos, mais inégaux de corpulence. Les 1, 4, 5 et le burraco 6 firent impression à leur sortie. Comme on le sait, le quatrième alla se fracasser dans un burladero, s’écroulant, foudroyé. On dut le puntiller. Il fut remplacé par un Cortijoliva qui débuta manso acorralado, mais finit par s’allumer, arrivant noble à la muleta. Hélas, lors du deuxième tiers, il se blessa à l’antérieur droit, obligeant le muletero à abréger.
     Point positif de la corrida, sa promptitude et sa puissance au cheval, en des premiers tiers puissants, où les hommes et les chevaux de Bonijol s’illustrèrent souvent (les piqueros de Lescarret et Ismael Alcon, ovationné au dernier. Hélas le scénario changea, à la muleta, où les forces manquèrent, laissant place à « une défense agressive », souvent par le haut. Les trois premiers montrèrent de la noblesse : très claire, à droite, pour le premier ; « distraite » mais également « droitière », pour le deuxième ; un peu « sosa », pour le troisième. Il manqua au sixième « deux bons mètres de charge », pour laisser la torero « a gusto ». Le plus compliqué, de loin, fut le cinquième, aux terribles « hachazos », à droite, se laissant « à peine » sur main gauche.
     Poids de la corrida : 498, 522, 480, 557(s), 570 et 547kgs.
     Juan Jose Padilla : Silence et Silence – « Ne passe plus ! » Mal attifé, mal peigné, sans aucune espèce de classe, le Jerezano n’est plus le gladiateur qui avait électrisé les foules, en un récent jadis. Sa cape fut des plus banales, et ses banderilles de même. Le « violin » lui-même semble désaccordé. Cependant, on lui reconnaîtra l’effort fait devant le toro d’ouverture, brindé au duo « des alcaldes jumelés » : Yolanda Barcina, pour Pamplona, et Jean Grenet, pour Bayonne. Après un début « compromis », à genoux, Padilla donna de bonnes droitières, de qualité croissante, mais la trop longue agonie du toro, après un trois quarts de lame tendu, divisa fortement les opinions.
     Après l’accident du quatrième et devant le Cortijoliva, blessé à la patte, Padilla prétendit faire faena, mais le public l’en empêcha, en tout respect de la bête.
     Julien Lescarret : Ovation au tiers, par deux fois (avec quelque division) – « A fait face », avec toute sa volonté. Très habile et « bien » au capote, le Français s’est peut-être trompé (cela dit très respectueusement), face à son premier. Après avoir bien entrepris le distrait sur bonne corne droite, le torero alla se perdre à gauche, où le toro lui accrocha quelque muletazo, au point que tout vira vers le brouillon. Curieusement, Lescarret ne revint jamais « à droite », s’entêtant à sombrer… à gauche. Tuant d’une lame vaillante, notre Aquitain perdit encore quelques bravos, à cause du puntillero.
     Devant le cinquième, qu’aguanta formidablement Marc Reynaud en son deuxième puyazo, Lescarret se montra très courageux, car les terribles hachazos sur corne droite d’un toro « plus haut » que lui, en aurait dégonflé plus d’un. Là également le torero « aguanta » et réussit à arracher quelques bonnes gauchères, au coup par coup. Recevant un méchant paletazo au coude droit, le Français eut du mal à tuer : On ovationna le très bon premier pinchazo, mais ensuite, le toro « ferma la porte », tête en haut, « hachazo » assassin. En quatre voyages, Lescarret signa sa fin, et l’on respectera entièrement sa sortie.
     Luis Bolivar : Une oreille et Silence, après un avis – A signé une bonne présentation à Bayonne, avec cape et muleta. Pour l’épée, il faudra attendre. Certes l’épée entière qui clôtura sa première faena fut bien basse, mais le public demanda l’oreille et la présidence l’accepta. Jusque là, il faut bien dire que le Colombien s’était montré brillant et très torero, devant un bicho « flacon » mais astifino. Toro noble mais faible et soso, auquel Bolivar va servir une faenita sérieuse, sur deux mains, après une ouverture par cambio au centre. Très appliqué, pourvu d’un courage serein et d’une sobre élégance, Bolivar va tirer « ce qu’avait le toro », et tuer d’une entière bien portée, mais basse, d’effet immédiat.
     Devant le burraco sixième, magnifique, on lui applaudira sa réception de cape, en cinq véroniques et une bonne demie. Le premier tiers sera exemplaire, en deux piques courtes d’Ismael Alcon, ovationné à sa sortie, entrecoupées d’un bon quite par chicuelinas, bien rematées à la rebolera. Hélas, la faena coulera doucement, le toro manquant « de ce tranco », de ce « bout de charge » en plus, qui auraient permis au muletero « de se sentir ». Puis ce fut l’épée, et là, l’échec fut complet.
     Hier, en terres de Cesar Rincon, Luis Bolivar est peut-être entré dans la plaza des Bayonnais, avant d’entrer tout à fait... dans leurs cœurs.