COMME UN
SEAU D’EAU GLACEE SUR LE TRIOMPHE D’ENRIQUE PONCE
13 Août : Il était 19 h48, hier, 12 août 2001.Dans la
plaza de Bayonne retombait
doucement l’immense ovation saluant le triomphe total d’Enrique Ponce.
Le lot d’Atanasio sortait bien . Tout était réuni pour terminer en
effusion de joie, et en abrazos...
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Puis le choc, la nouvelle qui glace le sang, les
images qui défilent aussitôt, comme des archives de 1973, mais aussi...
de cinq heures à peine : Antonio Jose Galan vient de se tuer, dans
un accident de voiture, du côté d’Aranda de Ebro. « Quoi ? »
Ce matin, comme hier, à Dax, il était là, avec
son fils David, qui toréait en non piquée. Antonio Jose Galan !
Pamplona et la corrida de Miura, en 73, sous l’orage.. Antonio Jose
Galan et sa présentation à Bayonne, le même été... « Héeeeee !
Que buenoooo ! » On
en avait parlé ensemble, à Dax, et son sourire s’était encore élargi,
ses yeux étaient repartis vers de nouveaux éclats de joie... « Bonne
chance au fiston, Antonio ! » « Vamos
a ver ! »
Dans le callejon de Lachepaillet, beaucoup de visages se sont figés, les
regards sont partis au loin. Chacun de penser au maudit destin et au
« toro negro de la carretera ». A ce moment, on ne savait pas
qu’ils étaient cinq dans la voiture, et qu’un autre passager était décédé.
On avait aucune nouvelle du jeune David, qui, on le saura plus tard, sommeillait, derrière, a demi couché sur les genoux de son voisin
banderillero. On ne savait qu’une chose : « Antonio Jose
Galan s’est tué, cet après midi, dans un accident de voiture ».
Maudit destin !
Pourtant, la nostalgie se disputait avec
l’immense bonheur d’avoir assisté à la monumentale prestation d’Enrique
Ponce, incontestable « Numéro Un » actuel, pedazo de torero
et « grande personne » dans la vie.
Comment expliquer ? Un mot peut être...
« La Classe ! ».
Si l’on parle « technique », on
reverra deux trasteos à deux toros différents... Si l’on parle
« Arte », on reverra aussitôt le monumental remate à une
main qui clôture la réception de cape, quatrième ... « Pour
faire une statue ! » Si l’on parle courage, on reverra toute
son actuacion, et entre autres, ses deux estocades, contraires, à force
« d’atracarse de toro », malgré les mauvaises conditions
proposées. Si l’on parle « verguenza torera », on
revoit la volonté, digne d’un torero débutant, de donner « la »
dernière série parfaite. Et l’on n’arrête pas, jusqu’à y
arriver. « Un vrai mort de faim ! »
Bayonne ne s’y est pas trompée qui, avant l’épée,
au quatrième, a monté une des ces ovations qui font l’Histoire d’une
plaza : une ovation uniquement faites d’applaudissements, en
cadence, crescendo, jusqu’au tonnerre final. Extraordinaire moment...
« Là haut » Claude Pelletier, qui venait d’accueillir
Antonio Jose Galan, a dû hurler un « Bieeennnn Bayonne ! ».
Lui qui n’aimait guère Enrique Ponce a « dû » gronder de
joie, et partir d’un « Je l’avais toujours dit ! »
avec cette gouaille et cette « honnête mauvaise foi » dont il
aimait user, pour masque sa pudeur, sa sensibilité...
Et quant on parle de « gran persona »,
on reverra ce geste d’éducation d’Enrique Ponce, remerciant la
musique qu’il a priée d’arrêter ses élans, parce que le toro était
trop distrait. Et que dire du brindis a Boutros Gali, ex secrétaire Général
des Nations Unis... « A vous, monsieur, pour ce que vous représentez,
et pour la Paix dans le monde »... « Un pedazo de Torero !
et un vrai chic type ». Bien plus , mais bien plus que le « grand
professionnel » dont on l‘affuble depuis des années. Enrique
Ponce « todo un Señor Torero ! »
Trois oreilles pour le Maestro de Chiva ! Trois
oreilles « a ley » et une vraie sortie a hombros. Une corrida
d’Atanasio qui sort « des plus intéressantes », sous le
ciel bleu, a plaza pratiquement pleine. Muy bonito ! D’ores et déjà,
la saison est sauvée. Et ce n’est pas fini.
12 Août - Bayonne – Grand beau et plaza casi llena : Six
toracos d’Atanasio Fernandez, bien présentés, certains d’entre eux
étant « de sacrés tontons ! ». Grosse impression causée
par les premier, troisième et dernier. Vaya Toracos ! Sortant
abantos et distraits, ils furent difficiles à toréer de cape, et les
deux jeunes s’y sont cassés les dents. A la pique, un peu plus que leur
devoir, frappant à mi hauteur, mais voulant parfois « faire le tour ».
Pour le muletero, un immense toro, le troisième. Toro de « dos
cortijos », chargeant droit, répétant, au galop, infatigable. Le
quatrième paraissait l’être, jusqu’au troisième muletazo et une
colada « bien vache ! ». Ponce s’en sortit, juste, et
regarda ses peones, effaré. « Qu’est ce qui lui arrive ? »
demande t’il, tandis que déjà, « l’ordinateur
est branché sur le problème ... Logiciel « technique,
courage, élégance ! Logiciel « Toreria ! ». Le lot
de Bautista parut fade.. Mais qu’aurait il donné, entre d’autres
mains ? Le sixième, un vrai autobus de 616 kilos a vite serré le
frein à main et Castaño n’a pu que murmurer quelques passes sans âme.
Et puis, ce premier, distrait, violent, explosant dans la muleta, chassant
les mouches... Un tio de cuidado ! Oui mais voilà, il était pour
Ponce. Il y a des jours où le sorteo fait vraiment bien les choses.
On ne décrit pas le toréo de Ponce.... On
n’est pas « comme sur une radio voisine » qui, en direct, égrène
lamentablement : « une première naturelle, une deuxième
naturelle, une troisième naturelle, une quatrième... » Vaya toston !
Non, une faena de Ponce, on la vit, avec la raison pour en apprécier la
technique ; avec le coeur et les tripes, pour en goûter,
respectueusement, l’élégante beauté.
Enrique Ponce a dompté la charge folle du
premier, un « toro torpille », un gros brutal, qu’il fallait
mater, à qui la force et la violence devaient s’imposer. Ponce y mit
force, violence, mais aussi saveur, garbo, élégante décision...
jusqu’à donner au gros méchant, des airs de bon toutou, sur une dernière
série templadita, bien liée, parfaite. Le toro hochait du chef, au
moment de l’épée. Ponce profita de la seconde où la tête « passait »
à hauteur voulue, dans ce maudit calamocheo, et, après pinchazo, lui mit
une entière contraire qui fit exploser la plaza. Certes, la présidence hésita
un peu.... « Messieurs, et vous mesdames... C’est avec les
mouchoirs blancs qu’on demande les oreilles ! On a du mal
« à compter les coups de gueule » !
Dès que sort le quatrième, on sait qu’il va
se passer quelque chose : la cape, « tenue à deux doigts » ;
les lances, en douceur, « codilleando con arte » ;
la demi véronique, de grand luxe et, sur le retour du bicho, un
remate à une main, la cape tombant magiquement dans la charge du toro. Un
monument au « Duende torero ». Ooolééééé ! Au moment
de la mise en suerte, rebelote ! On se regarde. « Mais , où il
va ? Où il nous entraîne ? » Puis, après le brindis au
grand homme, début de faena en doblones élégants. On se la promet
belle, et le torero, également. Sur le deuxième doblon, le toro a cogné
fort, du piton droit, dans la barrière. S’est il donné un coup ?
Son cerveau a t’il disjoncté, sa vue s’est elle brouillée ?
Toujours est il qu’au muletazo suivant, sur cette même corne, une
terrible colada dont le torero se sort par miracle. « Que le ha
pasado ? » demande Enrique à sa cuadrilla, planquée derrière
le burladero. A partir de cet instant, Ponce va toréer « main
gauche », en naturelles qui, peu à peu, vont prendre de la
grandeur, de la profondeur, de la majesté. Retour a droite, pour voir...
Le défaut s’est il rectifié ? Nouvel arrêt à mi charge,
nouvelle menace. « La vache ! » Alors, Ponce repart à
gauche, et, au moment du remate aux naturelles, change de main en
virevoltant un molinete belmontista, histoire de donner le pecho, toujours
sur la corne gauche, la bonne. Y ole ! Il aurait pu arrêter là.
C’était mal connaître Enrique Ponce, figuron del toreo. Armant sa
muleta de courage, de technique, et de grande esthétique, Ponce va
partir, main droite, sur la corne interdite, et va terminer en apothéose.
Les muletazos vont, tout d’abord, « forcer le chemin »,
imposer le trajet... Puis, ils vont devenir plus doux, plus profonds, plus
amicaux. « Mira, toro ! Voyons si, ensemble, on peut faire
plaisir « a esa buena gente » Il l’a dit ! Et comment !
La fin du trasteo fut une symphonie, et le toro, de la corne droite, se
rendit à la maestria du torero « géant ». Bien préparé, un
estoconazo « total », un peu contraire, un poil atravesado, ce
qui va retarder la mort. Un descabello définitif, qui fait s’écrier à
l’un de ses plus fameux supporters « Hasta en eso tiene arte ! ».
Deux oreilles, indiscutables ! Une vuelta d’apothéose. Que Bayonne
est grande, quand le toréo est grand ! Monterazo Señor Maestro
et... au 2 septembre, avec les Victorinos.
A côté de cela, Juan Bautista a paru bien
terne, bien hésitant, bien triste. Certes, passer derrière « deux
monuments » n’était pas mission facile, et les toros n’avaient
rien de commodes, l’un marchant beaucoup, l’autre montrant quelques
regards de travers. Mais reste l’impression de flottement, de « regard
vide », d’un torero qui semble se forcer à aligner les muletazos,
sans savoir où les commencer, où les finir. Impression d’errance, à
peine estompée par une grosse épée au deuxième. Le meilleur moment de
sa journée. Cela s’est beaucoup moins bien passé au cinquième qui
s’était donné une vuelta de campana au sortir de la pique. Le public,
avec lui très gentil, lui a dédié deux ovations : sincère, la
première, plus « gênée », la seconde.
Javier Castaño a coupé une oreille au
magnifique troisième. Il y eut même « pétition pour la deuxième ».
Mais là, c’est la présidence qui décide. Et la présidence dit :
« Trasteo de quantité, au lieu de qualité . Abondance de
passes, certes liées, mais la muleta souvent accrochée, le temple
approximatif, l’expression artistique, ou l’expression « tout
court », aux abonnés absents. Toreo vaillant, final spectaculaire,
un genoux en terre ; estocade « volcandose ». Bien !
mais insuffisant, compte tenu du toro. Donc, une oreille ! »
Et, ici, on souscrit totalement . C’était un toro « de révolution ! »,
et l’on n’a eu qu’un débat style « congrès des Verts ! ».
Bon succès, cependant, et une vuelta sans grande expression de joie. On
parle ici de « la grande sobriété des gens de Salamanque ».
Pas à dire ! Face au sixième, Castaño voulut débuter à genoux,
au fil des planches. Mais tout le monde savait que le bicho s‘échapperait,
laissant le torero agenouillé, en vaine prière. Puis, les passes se succédèrent,
de plus en plus courtes, de plus en plus hachées. Puis le toro dit
« Je veux plus ». Alors, le regard se fit de plus en plus
hagard, et l’épée plus hésitante.
Il y eut ovation de départ, pour s’être
coltiné ce gros balourd. Mais déjà, Bayonne s’apprêtait à faire
« la fête à Ponce », et là haut, cigare au bec, avec son
immense sourire, Antonio Jose Galan est parti d’un tonitruant « Eeeeeeeh ,
que bueno! ! ! »
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